Les réformes successives de la transmission du patrimoine privé visent certes à combler les dettes de l’État, mais aussi à suivre l’évolution démographique. En pratique, l’effet est à nuancer, car la réforme ne concerne qu’une minorité de particuliers. Le changement le plus impactant est l’allongement du délai de purge entre deux donations, appliqué de manière rétroactive. Une manière d’inciter les particuliers à transmettre très tôt leur patrimoine à leurs proches, afin de favoriser leurs projets de vie : transmissions précoces et démembrements vont se faire plus courants. Mais au-delà de la fiscalité, la transmission de patrimoine reste une affaire de timing et de stratégie individuelle, au cas par cas.
Les lois de finances se succèdent, et réforment le paysage de la transmission de patrimoine ; tantôt revenant sur les acquis concédés, tantôt alourdissant simplement la fiscalité. “On fait trois pas en avant, deux pas en arrière. Les gens sont perdus, et ont l’impression d’évoluer dans un environnement instable et incertain” s’indigne Pascal Renoncet, consultant en gestion patrimoniale au sein du cabinet Thésaurus. En effet, en 2007, respectant une de ses promesses de campagne, Nicolas Sarkozy instaurait notamment, à travers la loi Tepa (loi du 21 août 2007 en faveur du travail, de l’emploi et du pouvoir d’achat), un triplement de l’abattement en ligne directe – c’est-à-dire parent/enfant – pour la succession, et ouvrait la possibilité de bénéficier d’abattements renouvelables tous les 6 ans, en cas de donations.
Mais, devant faire face au déficit budgétaire, le gouvernement Fillon est revenu dès 2011 sur sa générosité et a porté à 10 ans ce délai de rappel fiscal – délai nécessaire au renouvellement du droit à l’abattement. En 2012, c’est au tour de François Hollande de durcir davantage la fiscalité. C’est ainsi que la seconde loi de finances rectificative pour 2012 a, entre autres, réduit le montant des abattements et rallongé le délai de purge fiscale.
Cette rigueur fiscale semble être une réponse face à la situation économique – crise de la dette, objectifs de réduction du déficit public –, mais elle n’est pas non plus incohérente avec les évolutions démographiques : “On peut interpréter l’allongement de la durée du rappel fiscal de deux façons : d’une part, on peut se dire que c’est corrélé à l’allongement de la durée de vie. Tout comme on peut se dire que l’État a besoin d’argent, et que la taxation des successions est une des sources possibles de financement” explique Cédric Cabanes, avocat et membre du réseau Gesica, réseau international d’avocats. Car au-delà des ambitions idéologiques de François Hollande, les réformes des successions et donations s’inscrivent dans le cadre d’un durcissement plus général de la fiscalité, en France mais aussi en Europe. Même la Suisse, offrant jusqu’à présent un doux asile fiscal à nombre de Français fortunés, songe à alourdir sa fiscalité.
“Dans ce contexte, il est délicat de monter des stratégies de transmissions complexes et efficaces, car on sait que ce qui fonctionne aujourd’hui ne fonctionnera pas forcément demain. C’est vraiment à s’y perdre, même pour les professionnels, alors je comprends la panique des particuliers” insiste Pascal Renoncet. Ce vent de panique avait d’ailleurs commencé à souffler avant même le vote de la loi, avec une précipitation massive des Français chez leur notaire, afin d’accélérer leurs donations avant le durcissement des règles fiscales : “Mes partenaires notaires ont enregistré un grand engouement pour les opérations de donations pendant les semaines précédant la réforme”, ajoute le consultant en gestion. Mais cette inquiétude est-elle justifiée ? Comment la transmission du patrimoine est-elle impactée en pratique, et quelles stratégies mettre en œuvre pour s’adapter à ces changements ?